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Cession privilégiée: et si l’opposition du bailleur est validée?

À l’occasion des précédentes parutions, il nous avait été donné d’examiner le principe de l’opposition à une cession privilégiée et les motifs qui la permettent. Il est renvoyé à ces articles pour un bref rafraîchissement. Pour finir, abordons les sanctions appliquées dans le cas où l’opposition à une cession privilégiée est validée.

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À ce stade et pour une meilleure compréhension, on peut néanmoins rappeler que :

– D’une part, l’opposition à cession privilégiée, à proprement parler, est organisée par les articles 36 et 37 de la loi sur le bail à ferme et tend à faire valoir l’un (ou plusieurs) des motifs d’opposition tels que visés à l’article 37 de la loi sur le bail à ferme ;

– D’autre part, le bailleur peut toujours faire valoir une contestation plus générale de la cession privilégiée davantage axée sur l’irrégularité de la cession en question (délai de 3 mois dépassé, envoi à un seul des bailleurs, etc etc.).

Et si l’opposition triomphe ?

La question qui se pose à ce stade de l’exposé concerne la sanction à apposer à une cession privilégiée attaquée par le bailleur qui triomphe dans son action judiciaire : à quelle sauce, donc, sera « mangée » cette cession privilégiée dont le Juge aura dit qu’elle n’est pas valable, légale, régulière, etc etc.

En cas de rejet sur un motif d’opposition

Raisonnons au cas par cas. Qu’en est-il d’abord, en cas d’opposition à cession privilégiée sur base de l’article 36 de la loi sur le bail à ferme ? Il n’est donc pas question, ici, d’irrégularité de la cession mais de faire, valoir, dans le chef du bailleur, un des motifs visés à l’article 37 (par ex. : moi, bailleur, j’avais justement l’intention d’exploiter dans un délai inférieur à 5 ans lorsque j’ai reçu la lettre de cession privilégiée).

La loi sur le bail à ferme a été modifiée à ce sujet par le décret wallon du 2 mai 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020. L’ancien texte (art. 36 al.3) était le suivant : « Si l’opposition est admise, le bail n’est pas renouvelé et seule la cession de l’ancien bail produit ses effets ». Traduction : si l’opposition du bailleur est admise, la cession du bail est maintenue MAIS le caractère privilégié de la cession (c’est-à-dire la création d’une première et nouvelle période d’occupation) est « annulé » si bien que le cessionnaire ne fera que poursuivre le bail du cédant là où il se situait, en termes de durée, lorsque la cession a été notifiée au bailleur. Le nouveau texte de l’article 36 alinéa 3, applicable, donc, depuis le 1er janvier 220, est le suivant : « Si l’opposition est admise, la cession est nulle et non avenue ». Traduction : si l’opposition du bailleur est admise, la cession sera jugée nulle et non avenue, ce qui signifie tout bonnement qu’elle est annulée. Plus question, donc, de transformation de la cession privilégiée en cession simple mais annulation pure et simple de cession, ce qui induit donc que le bail n’est plus cédé et qu’il fait ainsi chemin inverse pour se retrouver (à nouveau) dans les mains du cédant.

Cette sanction nouvelle n’est pas sans poser de difficulté. De fait, lorsqu’une cession privilégiée est notifiée, c’est généralement parce que le cédant met fin à son activité professionnelle de cultivateur. Mais alors, comment fait-on si le bail doit retourner vers un cédant qui n’est plus cultivateur ? Le Juge de Paix devra évidemment trancher au cas par cas mais la question mérite, a minima, d’être posée… Le législateur wallon semble en tout cas n’avoir pas perçu la problématique.

En cas de rejet pour irrégularité

Qu’en est-il ensuite de la sanction à réserver à une cession privilégiée dont le Juge aura dit qu’elle est irrégulière ? La question est encore moins simple, au simple motif que la loi n’organise pas légalement/procéduralement ce type de contestation et, donc, par voie de conséquence, n’édicte pas de sanction particulière. Plusieurs manières de réfléchir, dès lors. On applique la même sanction qu’en cas d’opposition légale à cession privilégiée : la cession est dite nulle et non avenue, avec les difficultés vues ci-dessus. On applique la règle ancienne prévue en cas d’opposition à cession privilégiée : la cession privilégiée est transformée en cession ordinaire. Il peut être dit que, dès l’instant où la loi ne dit rien à quant à ce, ce sera au droit commun de prendre le pas et que le Juge aura une marge de manœuvre assez large, selon le cas envisagé et ce qui pourra en être déduit, notamment en termes de bonne ou mauvaise foi des parties et d’intensité du préjudice dans le chef du bailleur…

Quelques remarques en guise de conclusion

La première concerne la qualité législative qui, manifestement, fait défaut, ce qui est regrettable dès l’instant où pareille situation est de nature à susciter interprétation et, donc, procédure. La seconde, qui n’est finalement que la conclusion de la première, est que, la matière étant oh combien complexe, il est toujours préférable de se faire assister ou conseiller…

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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