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«Les Verts n’ont pas le monopole de l’écologie»

Sans surprise, le parlement européen a assez largement donné son feu vert, le 24 avril dernier à Strasbourg, aux propositions de simplification de la Pac. On notera que les quelques amendements déposés par les groupes de gauche pour limiter la portée du règlement ou carrément le rejeter ont été largement repoussés.

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Les eurodéputés ont repris exactement la position des États membres, permettant ainsi l’adoption du texte dans la foulée, sans avoir à passer par la case du trilogue.

Irène Tolleret, vigneronne et eurodéputée engagée !

Une excellente nouvelle pour la centriste française Irène Tolleret que nous avons rencontrée à l’issue du vote. Cette eurodéputée héraultaise siégeant à la commission de l’Agriculture, est également vigneronne dans sa région d’Occitanie. Elle fait partie de ceux qui ont immédiatement demandé la flexibilisation de la BCAE8 au lendemain de l’éclatement du conflit russo-ukrainien.

« Corriger le tir sans abandonner l’ambition environnementale »

Dès les prémisses de la colère agricole, elle a rejoint les agriculteurs sur le barrage de Carbonne (près de Toulouse) pour leur faire part de son soutien.

« L’enfer est pavé de bonnes intentions, on a voulu développer une Pac plus verte que la précédente mais de nombreux éléments sont apparus très compliqués à mettre en œuvre pour les agriculteurs » rembobine-t-elle en ajoutant qu’il faut « flexibiliser tout de suite pour éviter des non-paiements pour l’exercice 2024-2025, c’est le minimum vital que l’on puisse faire ».

Pour Irène Tolleret il s’agit de « corriger le tir sans abandonner l’ambition environnementale de la Pac ». Et d’ajouter « au contraire, c’est se donner les moyens de l’atteindre ». Car la vigneronne du sud-ouest se refuse à opposer agriculture et écologie. Elle avance même que « l’écologie n’est plus l’apanage d’un seul parti ».

L’élue ajoute que « tous les partis politiques qui ambitionnent le vivre-ensemble ne peuvent ignorer que le changement climatique bouscule notre quotidien, menace la ressource en eau et la capacité de nos agriculteurs à produire de l’alimentation sur le continent européen ».

« Il n’y a pas de détricotage du Pacte Vert »

« Non, les Verts n’ont pas le monopole de l’écologie, même si cela les défrise quand on le pointe » insiste Mme Tolleret en se référant malicieusement au célèbre « la gauche n’a pas le monopole du cœur », prononcé en 1974 par Valéry Giscard d’Estaing. Une saillie qui avait fait mouche lors du débat de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle française.

Contrairement aux élus de gauche et aux écologistes, la vigneronne française ne pense pas du tout que les mesures du Pacte Vert ont été détricotées. Et de prendre l’exemple de la BCAE8 pour laquelle « on ne touche qu’au côté obligatoire des 4 % de jachères par exploitation, mais à côté de cela on propose un éco-régime qui fait partie de la boîte à outils environnementale ».

Rappelons que la notion de jachères écologiques avait été mise en place par l’ancien commissaire à l’Agriculture Dacian Ciolos. Si elle était « bonne et raisonnable il y a dix ans, cela ne veut pas dire pour autant que la mesure est aujourd’hui pertinente, tout simplement car nous avons dû faire face à une pandémie et, juste après, à une guerre aux frontières de l’Union, deux événements qui ont révélé des dépendances » développe la centriste française qui évoque la souveraineté alimentaire.

Souveraineté alimentaire, ou l’urgence d’un concept clef

Le concept, qui est répété à l’envi par la droite, trouve également un écho favorable auprès de sa formation politique.

« Il nous faut assurer un minimum de capacité de production sur les filières critiques si l’on veut être souverain. Or, le conflit russo-ukrainien a démontré qu’on ne l’était pas au niveau des engrais » a développé Irène Tolleret pour qui il n’est pas non plus pertinent de critiquer à tout va les accords commerciaux.

« J’ai entendu des collègues dénoncer avec force le Ceta, mais heureusement que nous avons eu le Canada pour importer sans taxe les engrais qui nous ont fait défaut suite à la guerre en Ukraine ».

L’urgence, pour la vigneronne française, est de développer une filière européenne d’engrais la plus décarbonée possible, et ce, même s’il nous faut les réduire dans le cadre de la stratégie « De la fourche à la fourchette ».

« Le produit agricole ne trouve pas son consommateur »

Irène Tolleret ne tacle pas l’une de deux stratégies phare du Pacte Vert, loin s’en faut.

À ses yeux, parmi les 27 textes qu’elle recèle, certains, dont les agriculteurs sont très contents, sont même à « accélérer ».

C’est le cas du texte qui porte sur la mise en œuvre d’un plan protéines européen qui avait été longuement abordé début du mois d’avril lors du conseil informel des ministres européens de l’Agriculture qui s’est tenu à Genk.

« Nous connaissons notre dépendance en la matière, tant pour l’alimentation animale qu’humaine. Nous devons développer une chaîne allant de la production à la commercialisation en passant par la transformation de protéines végétales » a développée l’eurodéputée qui insiste sur la notion de marché.

« On a tendance à engager des actions au niveau de la production, lesquelles perdent de leur sens s’il n’y a pas de mesure de soutien et ni de marché pour l’écouler, ce que l’on constate d’ailleurs avec le bio en France ».

Bref, pour l’élue du sud-ouest, « entre la production agricole et le consommateur, il faut développer une politique alimentaire digne de ce nom ». Si certains évoquent une politique agricole et alimentaire commune, d’autres, comme la centriste, préfèrent carrément parler d’une politique alimentaire commune dans laquelle les agriculteurs ne se désolidarisent pas de cette dernière dimension.

Soulagement sur la BCAE1

Enfin, Irène Tolleret s’est par ailleurs réjouie de l’adoption, là encore à une confortable majorité, de la proposition d’acte délégué de la commission assouplissant les règles de la conditionnalité encadrant la BCAE 1 (protection des prairies permanentes).

Pour rappel, ce texte autorise les États membres à réviser leur ratio de référence de 2018 afin que les régions ayant perdu plus de 5 % de leurs surfaces de prairies ne soient pas obligées de les réimplanter. Cette dérogation s’appliquerait dans les cas où la diminution du ratio en deçà du seuil n’est pas le résultat de la conversion de surfaces en terres arables ou cultures permanentes mais par exemple d’un abandon de l’élevage. Ces nouvelles dispositions s’appliqueront rétroactivement à partir du 1er janvier 2024.

Une expérience européenne réussie

Très impliquée au niveau des directives dites « Petit-déjeuner », l’eurodéputée ne briguera pas un nouveau mandat au sein de l’assemblée parlementaire. Satisfaite de son bilan et d’avoir pu faire avancer certains dossiers, elle avoue préférer l’économique à « la politique à la française que je déteste ». Elle compte néanmoins continuer à participer et à s’impliquer au sein des futures éditions du « Global Food Forum ». N’y est-il pas essentiellement question de politique alimentaire ?

Marie-France Vienne

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