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«On ne peut croire en une agriculture sans élevage, prélude à une alimentation sans agriculture»

Ce n’est un secret pour personne : les éleveurs souffrent. Tant d’un désintérêt du citoyen pour leur activité que de la multitude d’idées reçues relatives à la production et à la consommation de viande… Heureusement, les produits carnés ont encore leurs défenseurs. Parmi ceux-ci, le politologue français Paul Ariès qui ne manque jamais de remettre « la vache au milieu de la prairie ».

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À la demande de plusieurs éleveurs bovins, le Collège des producteurs, l’Association wallonne des éleveurs et l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité ont organisé deux conférences à destination des étudiants bioingénieurs, à Louvain-la-Neuve, et vétérinaires, à Namur. Placées sous le thème « L’élevage en question, d’hier à demain », elles avaient pour but d’informer les jeunes adultes sur les réalités des filières de productions agricoles, telles qu’elles se développent en Wallonie.

Invité pour l’occasion, le politologue, essayiste et spécialiste de l’alimentation français Paul Ariès n’a pas manqué de réfuter plusieurs affirmations sur la viande. Affirmations qu’il qualifie de mensonges colportés, notamment, par certains mouvements anti-viande ou végans. Mais avant, l’homme insiste : « Choisir, à titre individuel, de ne pas manger de produits animaux est aussi légitime que faire le choix inverse. Ce qui est problématique, c’est, d’une part, de vouloir l’imposer aux autres et, d’autre part, de confondre production industrielle et élevage paysan ».

Et d’ajouter immédiatement : « On ne peut croire que l’on pourrait avoir une agriculture sans élevage, prélude à une alimentation sans agriculture, reposant sur les fermes urbaines et biotechnologies alimentaires ». In fine, au 21è  siècle, la vraie alternative n’est pas de choisir entre protéines végétales et animales, mais bien entre la production industrielle de ces protéines, d’un côté, et l’agroécologie et l’élevage paysan, de l’autre.

La consommation de viande serait responsable des famines

Il s’agit du premier mensonge auquel s’attaque Paul Ariès, qui estime que c’est la casse de l’agriculture vivrière, l’appropriation du vivant, le vol des terres agricoles et le gaspillage alimentaire qui sont les principales causes de famine dans le monde. Il avance d’ailleurs que le seul coût du gaspillage alimentaire nord-américain (États-Unis et Canada confondus) s’élève à 100 milliards de dollars par an alors qu’il « suffirait », selon l’Organisation des Nations Unies, de mobiliser 30 milliards de dollars durant 25 ans pour assurer la sécurité alimentaire et relancer le secteur agricole dans les pays les plus touchés par la faim.

Plus largement, le gaspillage alimentaire représente un tiers de la production mondiale lorsque l’on additionne les pertes survenant chez les consommateurs, dans le transport, lors de la production, durant le conditionnement… « Indéniablement, c’est un levier sur lequel il convient d’agir pour résoudre la question de la faim ! »

S’attardant un peu plus sur la consommation de viande, le politologue constate encore que « certains végans affirment qu’il faut 3 à 4 calories végétales, en moyenne, pour produire 1 calorie animale ». Encore une fois, il s’inscrit en faux face à cette affirmation : « La vache sait faire ce que même le meilleur végan n’est pas capable de mettre en œuvre : transformer l’herbe en calories animales assimilables par l’être humain ». Il n’y a donc pas de concurrence entre l’alimentation du bétail, d’une part, et humaine, d’autre part.

Il estime encore qu’une calorie végétale n’est pas égale à une calorie animale. « Les végétaux contiennent beaucoup de principes nutritifs limitatifs qui compliquent l’assimilation des protéines, même si les biotechnologies espèrent un jour changer la donne », complète-t-il.

Par ailleurs, tant l’agriculture industrielle productiviste que les préceptes végans seraient incapables de nourrir 8 milliards d’êtres humains. La seule solution pour remplacer le fumier animal, si l’on devait se passer de l’élevage, serait d’utiliser toujours plus d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires, à la défaveur de nos écosystèmes.

Enfin, l’élevage accaparerait 60 % des terres agricoles. Un chiffre correct, mais à nuancer. En effet, de nombreuses prairies sont non labourables, se trouvent en moyenne ou haute montagne… Cette activité permet donc de valoriser des terres qui, sans production animale, seraient laissées à l’abandon. « En outre, la biodiversité est nettement plus importante dans les parcelles pâturées que dans les terres cultivées. Et il en va de même du stockage du carbone. »

L’élevage, artisan du réchauffement climatique ?

La consommation de produits carnés serait responsable du réchauffement planétaire, affirmation généralement affublée de deux chiffres. L’élevage serait responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre alors que le secteur des transports, lui, n’en représenterait que 14 %. « Autrement dit, le bébé et son biberon de lait seraient bien plus fautifs que le propriétaire d’un jet privé… », s’indigne l’essayiste.

Et d’avancer : « Cette comparaison est infondée car ces pourcentages ne sont pas calculés de la même façon. Le chiffre avancé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture pour la viande se base sur le cycle de vie complet, y compris les émissions directes (rots, fermentation...) et indirectes (transport, transformation, production d’intrants...). Les chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, relatifs au transport, ne tiennent compte que de la circulation des automobiles et non de leur fabrication, de leur entretien et de leur casse ». L’impact carbone d’un régime carné n’est donc pas forcément plus important, d’autant qu’il faudrait ingérer plus de végétaux que de viande pour un même apport calorique.

Enfin, on ne peut comparer l’élevage des bovins pâturant dans leurs vertes parcelles avec des pratiques observées ailleurs dans le monde d’engraissement intensif en feed-lots.

« Le prototype même de la ferme  écologique, c’est la ferme mixte »,  affirme Paul Ariès.
« Le prototype même de la ferme écologique, c’est la ferme mixte », affirme Paul Ariès. - J.V.

Consommer des produits carnés entraînerait des problèmes hydriques

Les chiffres sont connus et répétés à tort et à travers : il faudrait 150 l d’eau pour produire 1 kg de blé mais 15.000 l de ce même or bleu pour 1 kg de bœuf. « On confond trois types d’eau », s’indigne Paul Ariès.

Il convient de distinguer l’eau bleue (irrigation des cultures, abreuvement des animaux…), l’eau grise (issue des processus d’assainissement) et l’eau verte (l’eau de pluie tombant à la surface des terres agricoles et absorbée par le sol). Les deux premières représentent 3 % chacune de l’eau utilisée, tandis que l’eau verte compte pour 94 % du total. « Le problème hydrique n’est plus du tout le même lorsque l’on élimine cette eau tombée du ciel et restituée au sol dans la foulée. »

Des chiffres à comparer également avec la quantité d’eau nécessaire à la production de certains fruits : plusieurs centaines de litres pour 1 kg d’avocats, 4 l/amande… Cela prouve la complexité d’évaluer ce genre de paramètre.

Un aliment mauvais pour la santé

« C’est à la fois juste… et incomplet », commente le politologue français. Si l’Organisation mondiale de la santé a bien classé la viande comme cancérogène de niveau 1, il est important de préciser que d’autres aliments apparaissent dans cette même catégorie (produits sucrés, denrées ultra-transformées, fritures) mais aussi l’alcool et le tabac.

« J’ajouterais encore que le caractère cancérogène de niveau 1 nécessite une consommation supérieure à 100 g/jour et, surtout, de viande transformée industriellement. »

Selon les sources, 34.000 à 50.000 décès seraient liés, chaque année, à une surconsommation de produits carnés. Ce qui reste bien en dessous de la mortalité découlant de la consommation d’alcool et de tabac… « Mais aussi bien moins que le nombre de morts résultant d’une sous-consommation de viande. » La suppression totale des produits animaux n’est bonne ni pour la santé physique, ni pour la santé mentale.

D’une part, ce choix peut conduire à des carences en vitamine B12, fer, zinc, calcium… D’autre part, l’ingestion de viande conduit à l’accumulation de sérotonine, connue aussi sous le nom d’« hormone du bonheur ».

Une alternative au régime carné fréquemment citée consiste à se tourner davantage vers les légumineuses. « On prétend que 100 g de légumineuses apportant autant de protéines que 100 g de viande. Ce serait vrai si on pouvait manger les légumineuses crues, ce qui est impossible… » Il faudrait donc absorber 500 g de légumineuses cuites pour ingérer la même quantité de protéines que fournit un steak de 150 g. « Notre organisme n’est pas en mesure d’ingérer un tel apport quotidien… Une surconsommation de végétaux ne serait, en outre, pas idéale en raison d’une trop forte concentration en glucose et fructose. »

Paul Ariès n’imagine pas un seul instant que «l’élevage soit une parenthèse dans l’histoire de l’humanité».
Paul Ariès n’imagine pas un seul instant que «l’élevage soit une parenthèse dans l’histoire de l’humanité». - D.R.

Une activité contraire à l’écologie

Il s’agit de l’avant-dernier mensonge que contrecarre le spécialiste. « Les modes de pensée végan ou antispéciste sont opposés au monde de pensée écolo. Tout simplement, sur le plan agricole, parce qu’ils oublient que le prototype même de l’exploitation écologique, c’est la ferme mixte dont la production repose sur les fumures animales enrichissant les parcelles. »

Il serait possible de manger et vivre sans tuer d’animaux

« Soyons clairs, la production industrielle de protéines animales au plus bas coût est source de conditions monstrueuses, tant pour les animaux que pour les éleveurs ou le personnel des abattoirs », poursuit Paul Ariès qui, pour rappel, milite en faveur de l’élevage paysan et de l’agroécologie. Mais l’agriculture végétale aussi tue bien plus d’animaux, mais ce ne sont pas les mêmes. « Chaque jardinier sait qu’il ne pourra pas consommer de salade sans tuer de limaces ou de pommes de terre sans faire face aux doryphores. »

La principale hécatombe animale concerne les vers de terre, affirme-t-il. En zone tempérée, selon la composition des sols, ils peuvent représenter 70 % de la biomasse animale terrestre. « Ils assurent des fonctions essentielles liées au stockage du carbone et à l’aération des sols, notamment. Ce qui les tue, ce n’est pas l’élevage, mais le recours aux engins disproportionnés, aux produits phytosanitaires… en production végétale intensive. »

« Personne ne peut manger sans tuer d’animaux, directement ou indirectement, même dans le cadre d’un régime excluant les produits carnés. De même, les déplacements, la construction, l’éclairage… sont autant de sources de mortalité. »

Une parenthèse dans l’histoire de l’humanité ?

Dans ce contexte anti-élevage, Paul Ariès estime que le grand risque est de « perdre la bataille des idées, parce que nous aurions préalablement perdu celle de l’imaginaire ». Mais aussi de voir se développer l’agriculture cellulaire (lire encadré) et les fermes urbaines… « Le danger, dans ce cas, est de détourner les terres agricoles de la production d’aliment vers celle d’énergie… Et que deviendraient les paysans ? », alerte-t-il.

Il se veut néanmoins optimiste pour les années à venir : « Soit les fermiers et les mangeurs pèsent suffisamment pour défendre l’agriculture paysanne et l’agroécologie, soit ceux qui veulent en finir avec l’élevage et l’agriculture gagnent… Je constate néanmoins que les gens qui ont les pieds sur terre et pensent à la nécessité de nourrir 8 milliards d’êtres humains défendent le bon sens paysan. Nous sommes à la croisée des chemins et il faudra prendre la bonne direction… Mais je n’imagine pas que l’élevage soit une parenthèse dans l’histoire de l’humanité ».

Jérémy Vandegoor

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